Dernièrement inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO, un 29 novembre 2018, la poterie de Sejnane s’est vue accorder ses galons d’art à part entier. Nous sommes partis à la rencontre de l’une de ces artisanes-artistes.
Sejnane , un 29 janvier 2019. 4° avec un vent assez fort et une verdure à perte de vue. Accueillis par Hanene , nous rentrons chez elle , dans l’entre de la potière : sa maison –atelier.
Hanène, 38 ans, a arrêté l’école à l’âge de 12 ans, pour rejoindre une tradition ancestrale dont elle n’arrive plus à se remémorer les origines. Avec elle, mère, grand-mère et sœurs, toutes les femmes de la famille se sont, depuis la nuit des temps, données à la poterie, depuis l’extraction de l’argile dans les montages, jusqu’aux jolie sculptures qui trônent, tant bien que mal, dans un entrepôt de fortune. 26 ans d’expérience, qui avec l’appui du Club Culturel Ali Belhouane et le projet « Revivons nos racines », projet financé et appuyé, par le PCPA Soyons Actifs/actives, a pu être valorisé et aller bien au-delà des petites boutiques en bois qui jonchent la route de Sejnane vers des foires et des expositions à Paris et un peu partout ailleurs. Avec un grand sourire et une joie incommensurable, Hanène nous a ouvert les portes pour découvrir les techniques et les étapes qui aboutissent à ces jolies œuvres. Les « Sejnenias » sont des femmes militantes, qui non seulement bravent le danger mais portent en elle le souci de promouvoir un art ancestral dont leur vie dépend aussi bien économiquement qu’ontologiquement.
« Sans Argile rien ne sera »
Pour pouvoir créer, il faut de l’argile. Cette entreprise peut paraître banale ou évidente sauf que comme Hanène nous l’a expliqués : « avant de rentrer dans les grottes, nous prions parce que nous partons aussi bien à la rencontre de l’argile que de la mort ». En effet, l’argile qui permet aux potières de perpétuer cet art ancestral, se trouve souvent à plus de 2m de profondeur. De ce fait, les femmes doivent creuser des petites grottes, sans avoir les moyens nécessaires pour assurer leur sécurité. L’extraction est une entreprise essentiellement féminine, « des fois, les hommes nous aident quand nous sommes fatiguées » nous lance Hanène avec un sourire timide. Elles se chargent ensuite, tels des surhommes, de ramener le butin, chacune vers sa demeure. Ensuite commence, une autre entreprise tributaire de patience, de bravoure et de passion.
" Poussière poupée deviendra"
Une fois l’argile ramenée chez elles. Hanene, Mbarka et Ahlem commencent la transformation de cette argile brute en matière qui permet la sculpture. Mbarka , maman de Hanène âgée de 60 ans , nous explique que cette eau froide entraine de grands maux et qu’à partir d’un certain âge, il devient impossible aux femmes de la travailler. Mbarka , passionnément, le sourire au visage, nous montre les prouesses de l’expérience et en un quart de tour , elle façonne une sorte de vase dont le design a été inspiré suite à divers rencontres avec de jeunes étudiants aux Beaux Arts de Tunis. Avec une grande fierté, elle nous explique aussi les différents signes qu’elles dessinent sur leurs créations : « avant que nous ayons eu droit aux formations et encadrement dans le cadre du projet, nous ignorions les significations de ces signes, j’aurais aimé que ma mère et l’arrière grand-mère de mes filles ait pu les connaitre. Nous n’avions fait que les reproduire pendant tout ce temps en ignorant le sens ». Si aujourd’hui la poterie de Sejnane, grâce notamment aux efforts fournis par la société civile tunisienne, a été inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO, du chemin reste à faire, selon nos potières militantes: une certaine sécurité sociale qui leur permettrait de vivre dignement doit être garantie, ainsi qu’une reconnaissance, beaucoup plus importante à leurs yeux qui est celle des autorités locales et tunisiennes.
A la fin de notre rencontre, et à la question est-ce que vous aimez votre métier ? Le regard brillant , Hanène nous répond : « Malgré l’épuisement et la fatigue, nous aimons ce que nous faisons . Nous avons cela dans le sang. C’est notre identité ». La poterie de Sejnane a toujours été considérée, particulièrement après la révolution comme un moyen de réhabilitation des traditions ancestrales tellement oubliée, plus que jamais elle est un lien indélébile entre le tunisien et sa mémoire.