En 2015, Solidarité laïque, à travers son programme Soyons actifs/actives, qui a pour objectif de Réduire les inégalités d’accès aux droits, et dans le cadre du plan d’action du pôle Insertion Socio Professionnelle /Economie Sociale et Solidaire (ISP-ESS), a fixé parmi ses défis, la contribution à l’élaboration d’une loi sur l’ESS et son application effective dans les politiques publiques en Tunisie.
Un collectif d’associations, constitué par l’Union Général des Travailleurs Tunisiens (UGTT), l’Association Création et Créativité pour le Développement et l’Embauche(CCDE),l’Institut de Coopération Sociale et Internationale(ICOSI),et l’Association des Femmes Tunisiennes pour la Recherche et le Développement(AFTURD) ont mené tout un travail de plaidoyer pour promouvoir le concept et les valeurs de l’ESS , pour sensibiliser et faire appel au soutien du projet de la loi , tout en favorisant la reconnaissance ,par l’opinion publique, de l’apport que l’ESS en matière de création d’emplois et de développement d’une économie durable, inclusive et équitable en Tunisie.
Les activités proposées par le collectif plaidoyer ont pris en compte des remarques et des suggestions émises par la société civile et plus particulièrement par les membres du pôle IPS-ESS lors de leurs réunions. L’UGTT, chef de file de ce projet a mené une série de séminaires dans les 24 gouvernorats en Tunisie, et ce dans le but de partager, d’échanger et de collecter les propositions des acteurs de l’ESS (associations locales, experts, élus locaux…) afin de finaliser un document récapitulatif de toutes les recommandations.
Ce document constitue l’épine dorsale du plaidoyer ; à savoir les recommandations des acteurs du terrain adressées au gouvernement, à l’Assemblé des Représentants du Peuple (ARP), aux médias, aux acteurs de l’ESS et au porteur du projet plaidoyer.
Ce document a été diffusé, lors des événements organisés par le pôle ISP-ESS et lors de la table ronde organisée avec les députés et les représentants des ministères, le 28 février 2019 pour valoriser le travail fait par l’ensemble des acteurs de la société civile qui devrait être pris en considération lors de la discussion sur une dernière version du projet de loi adoptée par le gouvernement qui doit le remettre à l’ARP pour délibération et validation. Durant ces rencontres avec les décideurs, le collectif plaidoyer a insisté sur l’importance d’avoir une loi organique et de valider l’étude stratégique faite dans les régions, par un CM (conseil ministériel).
Le suivi de la mise en place de ce projet de loi a été confié au Ministère de l’Emploi et de la Formation Professionnelle avant la création d’un nouveau ministère de l’ESS lors d’un remaniement ministériel en novembre 2018.A cette occasion, le collectif plaidoyer a été invité pour rencontrer le ministre et présenter tout le processus et les recommandations émises. Suite à cette rencontre, certains points ont été soulevés et intégrés dans le plan d’action :
- Renforcer les capacités des membres chargés du dossier ESS au sein des ministères.
- Renforcer le plaidoyer par d’autres activités auprès de l’ARP après le dépôt de la dernière version du projet de loi.
- Continuer la promotion du concept de l’ESS et préciser les réserves et appréhensions sur le projet proposé au gouvernement et révisé par ce dernier. A ce sujet, une invitation a été adressée à l’UGTT pour rencontrer les membres de la commission juridique de l’ARP,
- Continuer la mobilisation de la société civile et faire la pression sur les instances concernées pour accélérer le dépôt du projet à l’ARP et ce à travers des apparitions dans les médias, la participation dans des activités organisées par d’autres acteurs, présenter l’expérience du plaidoyer, diffuser le registre des recommandations et le rapport du plaidoyer à grande échelle et renforcer le réseautage.
- Continuer la sensibilisation et la promotion de l’ESS, former des accompagnateurs de projets, des formateurs en ESS, former les cadres de l’administration qui reçoivent les créateurs de structures et de projets ESS, investir dans la création de structures ESS, proposer d’autres textes juridiques pour harmoniser les statuts des structures (coopératives, GDA, SMSA...) a la nouvelle loi.
Après une consultation menée par le gouvernement auprès des ministères concernés et notamment ceux de l’emploi, de l’agriculture et de la coopération internationale, le dossier du projet de la loi ESS a été déposé pour étude et traitement, à la commission de l’agriculture au sein de l’ARP. Cette commission a opté pour une approche participative dans le traitement du dossier , en permettant à la société civile de présenter ses amendements et les propositions de mise à jour sur le projet de la loi. Ainsi, Solidarité Laïque Tunisie a été invitée par la commission, en mai 2020, pour présenter en audition à distance les propositions suivantes :
- Avoir une loi organique et non pas ordinaire.
- La labélisation accordée aux structures de l’ESS
- Clarifier l’appui de l’Etat à ce secteur surtout en termes de financement et de gouvernance.
- Ajouter un article sur la représentativité régionale du secteur.
- Lancer un Task force qui implique les acteurs de la société civile et les ministères dans la gestion globale.
Une fois que les ajouts et les modifications apportées à la première version du projet loi ont été adoptées par les membres de cette commission, une séance plénière de l’ARP a été tenue le 16 et 17 Juin 2020 pour discussion et validation.
ENFIN UNE LOI ESS ADOPTEE EN TUNISIE !
Après un échange de deux jours en plénière et avec un large consensus entre les différents blocs parlementaires, l’ARP a adopté le mercredi 17 Juin 2020 la loi sur l’ESS avec 131 voix,29 députés s’y sont opposés, tandis qu’un seul député a conservé son vote.
Cette loi est l’aboutissement d’un long processus de travail mené au sein du programme Soyons actifs/actives dont la diversité des membres franco-tunisiens (collectif, syndicats, collectivités, associations) a enrichi les débats, les réflexions et a rendu possible cette loi qui permettra un nouveau modèle, tant attendu, de développement économique en Tunisie. En effet, l’économie sociale et solidaire est une alternative pour répondre à des besoins auxquels l’économie classique peine à répondre. La priorité désormais est de rendre cette loi effective : nous espérons qu’elle encouragera les gens à lancer leurs activités dans ce secteur où il y avait un flou juridique auparavant.
Comme la loi le précise , une structure d’économie sociale et solidaire est une entité morale soumise aux spécifications d'une institution socio-économique solidaire, qu'il s'agisse de coopératives travaillant dans le domaine de l'agriculture ou autres, de coopératives de services, de groupes de développement dans le secteur agricole et de la pêche maritime, de sociétés coopératives, de sociétés de microfinance ,de compagnies d'assurance à caractère coopératif, de toutes les sociétés à 'exception des sociétés unipersonnelles ou regroupant des intérêts économiques, ou de toute entité morale qui créée et soumise aux exigences de la présente loi.
Le nouveau cadre juridique adopté sauvera des milliers d'emplois, les prévisions affirment que l'économie sociale et solidaire pourrait produire jusqu'à 200 000 postes d'emploi et contribuer à hauteur de 10% au PIB , les expériences comparatives internationales ont prouvé que l'économie sociale et solidaire a contribué au développement des économies des pays qui l’adoptent, à titre d’exemple l’expérience de la France a fourni plus de 10% de la production brute et environ 10% de la main-d'œuvre après l’adoption de l’ESS. Cette loi permettra aussi de délimiter le concept d’économie sociale et solidaire, et de définir les structures et institutions qui le régissent. Aussi, il est à souligner à ce propos, la nécessité d’organiser ce concept et de le faire évoluer de manière qu’il permette de créer de nouveaux mécanismes de financement ainsi que de nouveaux avantages fiscaux qui lui sont spécifiques, pour apporter le soutien aux deux secteurs public et privé.
Le nouveau cadre législatif contribuera à une meilleure efficacité économique ainsi qu’à engranger des points au niveau des indicateurs de développement et de l’emploi, notamment celui des femmes rurales, à lutter contre le chômage et à favoriser la création d’un plus grand nombre possible de mini projets et de projets intégrés. Ce modèle économique concernerait davantage les femmes, dans la mesure où un grand nombre d’entre elles, en particulier les agricultrices, trouveront le cadre optimal pour la commercialisation de leurs produits.
Solidarité Laïque et ses membres ainsi que les autres partenaires tunisiens et français de la société civile et les acteurs de l’ESS se mobiliseront pour garantir une mise en application effective de cette loi.
Nasreddine AYOUNI, Coordinateur du bureau Solidarité Laïque Tunisie à Sidi Bouzid-Référent ISP/ESS Programme Soyons Actifs/actives