Le 22 Juillet 2020, le Pôle Education du Programme Soyons Actifs-Actives* a organisé un webinaire intitulé « Education et crise sanitaire : Vécu, impacts et perspectives en Tunisie et en France » à l’attention de ses membres mais également d’un public plus large.
Ce webinaire, qui a rassemblé plus de 30 participant.es et intervant.es en Tunisie comme en France, a permis de croiser les regards sur la crise sanitaire actuelle et sur son impact sur l’école mais également sur l’éducation populaire et non-formelle.
La pandémie du Coronavirus a affecté la plupart des pays dans le monde sur les plans sanitaires, économiques et éducatifs.
Sur le plan éducatif, 1 milliards d’enfants sont restés confinés dans le monde car leurs écoles ont fermé, c’est le cas encore aujourd’hui pour plus de 80 millions d’enfants. Certains pays ont pris l’initiative de l’enseignement à distance, alors que dans la plupart des pays les élèves et les enseignants sont restés déconnectés du parcours scolaire, entraînant des conséquences graves sur l’éducation.
En effet, ces situations d’isolement ont aggravé le fossé entre les peuples ainsi que les inégalités de genre. Cette crise sanitaire nous questionne enfin sur les inégalités d’accès au numérique et sur nos stratégies d’apprentissage à distance.
Les cinq intervenant.es présent.es, acteurs et actrices institutionnel.les ou de terrain de l’éducation en Tunisie et en France, ont dépeint leurs vécus et leurs perspectives pour l’avenir suite à cette crise.
Pour Tahar Mathlouti, Directeur général du Centre International de Formation des Formateurs et d'Innovation Pédagogique en Tunisie (CIFFIP), il s’agissait « d’agir dans l’urgence et décider dans l’incertitude ». La priorité en Tunisie a donc été donnée aux élèves qui devaient passer des examens. Les enfants tunisiens ont également bénéficié de cours télévisés, pour garder un contact avec les apprentissages. Le lien avec les élèves a également été maintenu grâce au numérique malgré de grosses inégalités d’accès au numérique (équipement et accès internet) entre les élèves. Egalement, cette crise a révélé, malgré les volontés individuelles, le manque de formation des enseignant.es aux outils numériques et à leur animation dynamique auprès des élèves. Ainsi, des actions de formation doivent être engagées pour permettre d’être mieux préparés à l’avenir.
Layla Ben Sassi, Inspectrice Générale des Ecoles et Directrice de l'Observatoire National de l'Education au Ministère de l'Education tunisien, apporte des éléments chiffrés sur le vécu de cette crise en Tunisie : 77% des établissements scolaires tunisiens étaient connectés, en période de confinement, et de nombreux supports pédagogiques ont été mis en ligne pour les révisions des élèves (141 supports mis en ligne pour le BAC, 25 pour les collèges et lycées, 191 supports au total. Concernant le lien entre enseignant.es et élèves, c’est le téléphone portable et les mails qui ont été privilégiés. Des stratégies de repli vers l’éducation privée ont également été identifiées, ce que souligne Najwa Zorguia , qui a représenté l’UGTT qui se positionne contre la marchandisation de l’école.
En France, comme à l’international, le constat fait par Jérémie Morfoisse, Directeur Opérationnel Education à la Citoyenneté et à la Solidarité Internationale à Solidarité Laïque France, fait écho à celui de la Tunisie : 40% des Etats n’ont pas pu mettre en place de continuité pédagogique dans le monde. Ce sont les enseignant.es qui ont avant tout absorbé le choc et l’impact de la crise et qui ont développé d’immenses capacités d’adaptation pour maintenir le lien av ec les élèves. En France, en moyenne, 4% des élèves ont décroché. Dans les quartiers les plus défavorisés, le taux de décrochage a pu atteindre 24%.
La continuité pédagogique a donc été avant tout entre les mains des enseignant.es mais également des familles. Cette situation a ainsi créé de grandes inégalités dans l’apprentissage des élèves, certaines familles étant en capacité d’accompagner leurs enfants quand d’autres n’avaient pas les capacités adéquates pour accompagne leurs enfants.
Jérémie constate cependant que cette crise a confirmé l’importance de l’école au-delà de sa dimension éducative. L’école est ainsi avant tout un lieu d’apprentissage mais se révèle également comme un lieu de socialisation et un lieu où l’accès à une alimentation équilibrée, assurant un repas complet au moins une fois dans la journée pour les élèves. L’école est également un lieu qui garantit la sécurité physique et affective des enfants. On a en effet pu constater que les violences faites aux enfants ont fortement augmenté pendant le confinement. Le Droit à l’éducation est donc en connexion directe avec d’autres droits fondamentaux, dont l’école assure le respect. Face à ce constat, Jérémie Morfoisse espère que la priorité sera ainsi donnée à l’éducation avant les considérations économiques.
Au-delà de l’école, le confinement a également valorisé le travail socio-éducatif réalisé par la société civile, en France comme en Tunisie. L’accès aux loisirs et à la culture a fortement été impacté pendant cette période de confinement. Cette crise conforte l’idée que la complémentarité entre l’école et le travail de la société civile dans le domaine éducatif est primordiale, et se révèle encore plus en période de crise. Laassad Arfaoui, Directeur de Solidarité Laïque Tunisie souligne cette idée : la société civile n’a pas vocation à remplacer l’Etat, mais ces différents acteurs de l’éducation doivent travailler main dans la main.
Sophie Lorimier, Responsable du service éducation – citoyenneté à la Ligue de l’enseignement des Bouches-du-Rhône souligne ,quant à elle, l’adaptation très forte des enseignant.es en France durant la crise sanitaire. Finalement, les dispositifs de l’éducation nationale ont été assez peu utilisés par les enseignant.es qui ont privilégié d’autres ressources (vidéos, ma classe à la maison, usage du mails, appel téléphonique auprès des familles).
La première action de la Ligue de l’enseignement des Bouches-du-Rhône, grâce notamment aux équipements sociaux qui agissent dans les quartiers les plus défavorisés de la Ville de Marseille, fut d’organiser des distributions de colis alimentaires en l’absence de cantines et afin de créer du lien social. Des lectures en direct et l’animation de jeux et d’ateliers ont également été organisés par des équipes d’animation. Le défi de la rentrée sera notamment l’équipement des familles en tablettes et ordinateurs.
En conclusion, en France comme en Tunisie, c’est l’adaptation des acteurs de l’éducation et des gouvernements qui a été à l’œuvre face à une situation inédite.
En conclusion, cette crise ne fait que souligner et renforcer des constats déjà pré-existants. Elle a renforcé les inégalités d’accès à l’éducation déjà existantes, notamment dans les milieux ruraux ou dans des communautés marginalisées, comme la communauté tsigane en France. Egalement, l’école n’est pas qu’un lieu d’instruction mais a un rôle central dans la société. Enfin, la marchandisation de l’éducation et le risque de privatisation a augmenté, les « marchands » de l’éducation ont profité de la situation pour proposer des offres éducatives en ligne : nous devons défendre l’école publique de qualité et encourager une adaptation de l’école publique au numérique pour plus de résilience dans la situation d’une nouvelle crise sanitaire.
La société civile doit intervenir en complémentarité de l’Etat pour soutenir les efforts collectifs pour une éducation pour toutes et tous. L’éducation non formelle, informelle et populaire ont toute leur place et leur pertinence notamment les pédagogies actives pour permettre aux enfants d’être résilients. Il faut travailler sur des contenus pédagogiques qui donnent « envie d’apprendre » avec une approche d’apprentissage actif.
*Le Pôle Education est un réseau de 50 acteurs tunisiens et français travaillant ensemble sur l’accès à une éducation de qualité citoyenne et inclusive pour toutes et tous en Tunisie et en France.
Le Pôle Education est né au sein du programme Soyons Actifs/Actives dont l’ambition est de réduire les inégalités d’accès aux droits » depuis son démarrage en 2012. Dans la nouvelle Tunisie souhaitée par les citoyennes et citoyens depuis 2011, les questions de démocratie, de libertés et de dignité sont primordiales. La réduction des inégalités sociales, économiques et territoriales constitue l’un des enjeux majeurs pour réussir cette transition.